«On peut envisager le monde comme une myriade de messages. A Celui Que Cela Peut Intéresser»
- tel était le postulat formulé, en 1947, par le grand mathématicien Norbert Wiener. Son assertion
illustre bien la profonde mutation qui avait commencé à se produire dans nos façons de
conceptualiser le monde. Les paradigmes de la science classique avaient atteint les limites de leur
utilité. Des phénomènes de plus en plus nombreux semblaient défier l'explication linéaire (de cause
à effet) des processus naturels et soulevaient ainsi des doutes en ce qui concerne la validité de la
très ancienne conviction selon laquelle, pour comprendre (et changer) le présent, on devait d'abord
en découvrir et analyser les causes dans le passé. Une réorientation peut-être encore plus féconde
intervint grâce à ce qu'on pourrait presque appeler la «découverte» de l'information, entité qui
possède son propre droit à l'existence, aux côtés des principes classiques de la matièreet de l'énergie.
L'objet d'étude, c'était maintenant le monde, interprété comme une «myriade de messages» qui
engendrent des messages qui provoquent une rétroaction sur leurs propres sources.
La publication du présent livre tomba durant cette période de fermentation naissante. Il s'agit du
travail commun de deux savants, venant de disciplines différentes, mais dont la formation était
cosmopolite, et qui pouvaient donc et souhaitaient remettre en cause les hypothèses scientifiques à
partir de leurs prémisses fondamentales: Jurgen Ruesch, un professeur de psychiatrie, et Gregory
Bateson, un spécialiste de l'anthropologie culturelle. Ils se rencontrèrent alors qu'ils enseignaient à
l'Ecole de médecine de l'université de Californie à San Francisco, et ils convinrent de faire converger
leurs idées dans ce livre - tout en écrivant chacun séparément leurs chapitres respectifs.
A notre époque, à la fin des années 1980, il est difficile d'imaginer que ce livre n'aurait pu être écrit
ne serait-ce que dix ans plus tôt. Il est vrai qu'une immense partie du travail avait déjà été
accomplie en ce qui concerne les aspects théoriques et pratiques de la transmission de l'information,
et que la sémiotique (la théorie générale des signes et des langues) avait déjà réalisé des progrès
significatifs. Mais les analyses des effets les plus immédiats des échanges d'information - les effets
de comportement (pragmatiques) - et des façons dont la communication détermine le
comportement en profondeur - en fait, est le comportement -, ces recherches étaient pratiquement
inexistantes. La publication de Communication: La matrice sociale de la psychiatriepeut être considérée
comme l'émergence d'un nouveau champ - si nous acceptons d'oublier les sinistres abus de la
communication déjà commis en matière de publicité et de propagande.
SHARE US →